Des souris et des systèmes 

d'information des entreprises

La version originale de cet article a paru dans la revue Le Manager

No. 44, mars 2000, page 24


Par Mohamed Louadi, PhD

Il a longtemps été prouvé tout au long des études en théorie organisationnelle que plus l'environnement des entreprises devenait turbulent, incertain, dynamique et complexe et plus elles étaient promptes à acquérir et à gérer davantage d'informations en guise de réaction.

Des études, d'un genre tout à fait différent retrouvent cette tendance dans la nature. Et plus particulièrement chez... les souris.

Dans les années 1960, Mark Rosenzweig de l'université de Californie à Berkeley avait démontré que les souris qui étaient dressées dans des environnements particuliers (de grandes cages remplies d'autres souris et de jouets) développaient des cerveaux plus sophistiqués et plus complexes que les souris qui étaient élevées dans des environnements moins animés (de petites cages et sans compagnons ni jouets).

Cela est peut-être dû à la différence dans le développement de la structure du cerveau des souris. En effet, une des parties essentielles d'un cerveau, qu'il soit d'une souris ou d'un être humain, est constituée de neurones. Comme nous le savons, les neurones sont des cellules qui «pensent» et commandent aux muscles de remuer. Ces cellules ont pour fonction principale de s'échanger des informations entre elles à travers les synapses. Plus un neurone a de synapses, plus il est connecté et mieux il communique avec les autres neurones. En somme, le nombre de synapses d'un cerveau indique sa capacité à traiter et à répondre à plus d'informations.

Ainsi, les souris qui sont élevées dans des environnements plus complexes développent plus de synapses que les autres. D'après William Greenough de l'université de l'Illinois qui s'était aussi intéressé à la question, les souris de la première catégorie ont de 20 à 25% plus de synapses.

Transposant ces expériences qui, rappelons-le, n'avaient d'autre intérêt que de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau humain, nous pouvons avancer comme hypothèse que les entreprises qui sont confrontées à des environnements plus incertains auront tendance à se doter de moyens de traitement et de communication de l'information supérieurs à ceux dont disposent les entreprises qui opèrent dans des environnements plus stables.

Aussi pourrons-nous comprendre que les banques, par exemple, sont plus informatiquement dotées que les fermes. Elles ont également des circuits de communication interne et externe plus développés. Les banques sont confrontées à une clientèle exigeante, sophistiquée aux goûts et aux besoins changeants alors qu'une ferme est assujettie à des règles saisonnières et cycliques et à un marché aux besoins prévisibles.

De là, pourrons-nous peut-être avancer la conclusion suivante: l'environnement des entreprises devenant de plus en plus menaçant de nos jours, celles-ci devront se soucier davantage de leurs capitaux informationnels et intellectuels en s'équipant non seulement de plus d'informatique mais aussi de systèmes d'information et de systèmes de gestion de capital intellectuel à la mesure de leurs futurs concurrents et partenaires.

Les entreprises qui ne sont pas rompues au jeu de la concurrence et de l'adversité, aux défis de la qualité et aux vicissitudes des marchés ouverts auront plus de difficultés à s'adapter que les autres.

La différence entre les souris et les entreprises en général est que ce processus d'adaptation à l'environnement est inné chez les premières et une question de mise à niveau et de remise en question pour les secondes.