Enron, WorldCom, Arthur Andersen, Vivendi...

La version originale de cet article a paru dans la revue L'Economiste Maghrébin

No. 319, juillet 2002, pages 32-34


Par Mohamed Louadi, PhD

 

Ce que plusieurs firmes américaines et multinationales vivent aujourd’hui est sans doute une extension d’un même phénomène: celui du mensonge incolore extrait d’une constellation de bulles et de vapeurware made in USA. Le bout visible de l’iceberg est un bouquet d’ex-fleurons de l’économie américaine: Enron, WorldCom, Arthur Andersen, Vivendi et bien d’autres étoiles filantes ou… filées.

 

Enron

 

La tragédie du groupe énergétique texan Enron (un drôle de nom pour une entreprise, il faut dire) a fait qu’il a frôlé la faillite fin novembre 2001. La saga de Enron, septième entreprise dans la liste des 500 premières de Fortune, avait commencé avec l’annonce de 638 millions de dollars en rouge à la fin du troisième trimestre 2001 suivie de l’aveu de gonflements des profits de 600 millions depuis 1997 ainsi que de la non transparence de ses dettes laissées en marge des livres et des comptes. Il n’en fallut pas davantage pour qu’investisseurs et actionnaires perdent confiance dans une firme dont la valeur, estimée à 80 milliards de dollars il y a un peu plus de deux ans, chuta à 450 millions en novembre 2001. Le gouvernement ouvrit une enquête et les rats commencèrent à quitter le bateau en naufrage: un cadre de direction s’en alla en août 2001 suivi du daffeur en octobre.

 

Une enquête révèlera plus tard des bizarreries du genre où, au mépris de toutes les règles et pratiques en vigueur, des administrateurs employés par Enron, étaient rémunérés pour des «prestations» en tant que consultants. Les pratiques de malversation étaient connues des dirigeants, des auditeurs d’Arthur Andersen et du conseil d’administration du groupe. C’est, du moins, ce qu’affirme le rapport de 60 pages rendu public le dimanche 7 juillet 2002 par le Sénat américain, où on peut lire :

 

« La plupart des fraudes étaient connues du conseil: les pratiques comptables à haut risques, les conflits d'intérêts, les opérations hors bilan et les rémunérations excessives des dirigeants... Le conseil a contribué à l'effondrement de la société et en porte une part de responsabilité», lit-on en substance dans le rapport du Sénat.

 

Certains considèrent que les révélations sur la gestion malsaine de Enron constituent le prélude au troisième krach et a déjà fait dégringoler la confiance des investisseurs dans les multinationales, étant entendu que le premier krach était survenu en mai 2000 après le refroidissement de la fièvre de l’Internet et que le second krach était consécutif aux évènements du 11 septembre.

 

Mais Enron ne restera pas seule dans l’histoire des entreprises dinosaures en voie d’extinction.

 

WorldCom

 

En effet, le deuxième opérateur de télécommunications des Etats-Unis, WorldCom, n’a pas été en reste coté scandale après qu’il eut publiquement révélé qu’il avait mal calculé 3,85 milliards de dollars de sorte que ses profits soient gonflés indûment.

 

Le cas WorldCom est un des scandales les plus récents ayant frappé le monde corporatif américain et à avoir miné la confiance des investisseurs tout en ayant contribué à la baisse de la plupart des indices et indicateurs économiques.

 

Parmi les petits démêlés de WorldCom figurent les 400 millions de dollars que Bernie Ebbers, dirigeant de WorldCom avait obtenus en guise de crédit.

 

Mais cela n’est rien en comparaison du trou de cratère de près de 4 milliards de dollars laissé dans les comptes de la firme. Les deux présumés responsables de cette débâcle, Bernie Ebbers et Scott Sullivan ont préféré user de leur droit constitutionnel du silence, le cinquième amendement, lors de leur audience à Washington le 8 juillet. Pour eux, le silence est de dollar.

 

Arthur Andersen

 

Intimement lié à la débâcle d’Enron, le scandale de Arthur Andersen peut être plus grave car le cabinet, commissaire aux comptes d’Enron, jouit d’un portefeuille de clients impressionnant (dont Harken Energy Corp., où George Bush fit un passage remarqué post-facto). Comme qui vole un œuf vole un bœuf….

 

Seul un partenaire de Arthur Andersen, David Duncan, avait tiré la sonnette d’alarme, dès février 1999, en avertissant le comité d'audit que les méthodes comptables utilisées par Enron étaient «à la limite», voire «au-delà des limites».

 

Entre-temps, beaucoup se sont posé la question de savoir comment un commissaire aux comptes pourrait avaler des couleuvres de la taille d’un boa. Exemple? Des revenus de 2 milliards de dollars réalisés en six mois après la mise en place, par le daffeur d’Enron, Andrew Fastow, d’un nouveau partenariat.

 

M. Duncan servira en tant que témoin principal dans le procès criminel intenté au début de l'année à Andersen pour obstruction à la justice après la découverte de la destruction de documents importants liés au cas Enron.

 

Vivendi Universal SA

 

Ces choses ne sont pas exactement le monopole des Américains puisqu’une multinationale franco-américaine, Vivendi Universal, numéro 2 mondial des médias et de la communication et ayant à sa tête un PDG du nom de Jean-Marie Messier (J2M en sténo et J6M pour lui-même) a également défrayé la chronique récemment.

 

Chez Universal, l’histoire –ou les histoires– est à peine différente. Une de ces histoires concerne le vote de 4.000 actionnaires survenu lors du conseil d’administration du 24 avril 2002. Dans ce vote électronique, un acte de piratage avait été soupçonné par cinq actionnaires (dont la Société Générale, le Crédit Agricole, Pathé, Saint-Gobain et BNP-Paribas) qui avaient saisi le tribunal après avoir constaté que leur OUI avait été transformé en ABSTENTION, autant dire en l’équivalent d’un NON. Le vote ayant été administré électroniquement, l’allégation qu’un signal radio à haute-fréquence ait été altéré dans son parcours entre le pupitre de vote d’un actionnaire et le boîtier de réception reste plausible surtout si des techniciens informaticiens qualifiés sont mis à contribution.

 

A qui le crime aurait-il profité? Certains avancent: en partie à J2M, puisque l’une des deux résolutions mises au vote et portant sur un plan de stock options pour attirer de nouveaux managers était proposée par lui. Cette résolution ayant été rejetée par les actionnaires minoritaires avait tout de même été retenue par la direction.

 

Autre merveille chez Vivendi: alors que les actions de la plupart des actionnaires avaient chuté de 30% en moyenne, le salaire de J2M, lui, a augmenté de 80%.

 

Finalement, l’on n’insistera certainement pas sur les vertus de la transparence et la communication financière de Vivendi, surtout après avoir lu le rapport annuel de 300 pages totalement dénué de graphiques et d’illustrations et où les «autres dettes à long terme» ne sont pas rares.

 

George Walker Bush

 

Retour aux Etats-Unis.

 

Le discours de 30 minutes sur le «terrorisme corporatif» fut prononcé par GWB le 9 juillet 2002 à New York, à quelques centaines de mètres de Wall Street. Il portait sur les mesures que le gouvernement américain devait prendre pour rétablir la confiance après la vague de fraudes comptables dans les entreprises. Bush y annonça, entre autres, la création d'une commission fédérale spéciale chargée des PDG voyous et un renforcement des sanctions pénales pour les cols blancs mauvais garçons et ce, afin de restaurer la confiance des investisseurs mise à rude épreuve par les indélicatesses de Enron et de WorldCom.

 

Mais qu’il se prononce sur le terrorisme, sur la situation au Moyen-Orient ou sur la fraude corporative (et surtout sur la confiance), Bush n’inspire rien. Pas même les Démocrates. Pas même Wall Street. A preuve, la Bourse américaine est restée impassible à la suite de son speech, Wall Street avait perdu 0,04%, le Dow Jones avait chuté de presque 2%, le Nasdaq de 1,7% et l’indice de Standard & Poor’s 500 avait baissé de 2,5% ce jour là. S’il parlait, Wall Street lui aurait peut-être dit quelque chose comme: «il nous faut moins de paroles et davantage d’action».

 

Conclusion

 

J2M est parti le 2 juillet. Jean-René Fourtou (un autre drôle de nom), le nouveau PDG est aux commandes. Standard & Poor’s, l’agence internationale de notation continuera à surveiller de près la dette du groupe Vivendi dont la dette totale était estimée à 33 milliards d’euros fin 2001.

 

Enron n’a même pas pu être sauvée par son concurrent, Dynergy Inc. Sa faillite, la plus importante de l’histoire corporative des Etats-Unis, fut annoncée le 2 décembre 2001. Une série de scandales s’ensuivit portant tous sur les manipulations comptables de grandes entreprises américaines.

 

Arthur Andersen a été condamné par le ministère de la Justice américain le 15 juin et le verdict fut «coupable». Du Big 8 on est passé à Big 5 et maintenant il sera plutôt question de Big 4. La bande des quatre, dites-vous?

 

Ailleurs la valse des manipulations comptables continue. Y compris chez Xerox, Tyco, Qwest (un autre groupe de télécommunications) et d’autres. Du coté britannique, il s’agira de BP. Effet domino? Texas et pétrole plutôt.

 

Aux dernières nouvelles trouvées dans le Financial Times, la Securities & Exchange Commission (SEC) aurait ouvert une enquête sur Bristol-Myers Squibb, le groupe pharmaceutique américain, afin de déterminer si le groupe a gonflé son chiffre d'affaires d'un milliard de dollars en 2001.

 

A peine plus de dix ans après le début de la chute des autres ismes, le capitalisme semble prendre du plomb dans l’aile et l’impression que ce qui se passe actuellement est d’une gravité exceptionnelle est bien réelle.

 

Le mot du début de la fin est que tous ces scandales pourraient trouver leur origine dans l’euphorie de l’ère des dot.com où tout était permis et pas seulement les rêves les plus fous. Mais d’autres explications sont plus plausibles: mensonge, avarice, malhonnêteté, culture du gain facile, pouvoir, argent, et j’en passe. Le succès et l’avarice au sommet de la pyramide ne peuvent pas être un moteur crédible de développement, fut-il pour les Américains.

 

Il fut un temps où les «gains» étaient «grignotés» au niveau des achats, des matières premières, du stock, des machines, de la production, du personnel et même de la clientèle. Aujourd’hui, ces gains se font sur le dos des actionnaires en gonflant les revenus, en taisant les pertes et les dettes, en gonflant la valeur boursière d’une entreprise pour attirer encore plus d’investisseurs et donc davantage de richesses réelles qui vont enrichir les vautours. Toutes ces entreprises n’étaient après tout que des ballons dirigeables dont la seule certitude est la chute.

 

D’autres s’amusent encore à évaluer la corruption dans les pays sous-développés et à noter les pays et les économies en fonction de la transparence de leurs comptes et de ceux de leurs entreprises.