L'enseignement basé sur l'Internet

Une première expérience

La version originale de cet article a paru dans La Presse de Tunisie

Lundi 27 août 2001, pages 1 et 3


Par Mohamed Louadi, PhD

Maître-assistant (Systèmes d'information)

Institut Supérieur de Gestion

Un des choix stratégiques de la Tunisie est de se préparer à une économie du savoir. Plusieurs universités tunisiennes se sont déjà consacrées à un nouveau type d'apprentissage, le e-Learning, ou l'enseignement à distance, autrement appelé enseignement non "présentiel" en Tunisie. C'est en ce sens que les programmes de pédagogie numérique contribueront à impulser une industrie culturelle et à vulgariser les sciences au profit de tous, dans l'objectif de réaliser "une université pour tous, une voie pour chacun".

Ainsi, plusieurs actions visent à promouvoir l'enseignement non présentiel afin qu'au moins 20% des modules enseignés le soient à distance d'ici à 2006. Déjà, le nombre des universités virtuelles tunisiennes sera bientôt porté à huit. Un autre objectif concomitant est d'atteindre un taux de scolarisation de 75%, plus proche de l'Europe où les taux oscillent autour de 80% voire même de 90%. Les prévisions sont telles que l'on s'attend à ce que l'Université tunisienne accueille près de 120 mille étudiants et étudiantes à l'orée de l'an 2008 et le taux d'inscription atteindra les 43% en 2010.

Sous d'autres horizons, et selon les dernières statistiques, 90% des collèges et universités américains offriront leurs cours selon le modèle du e-Learning à partir de 2005 et les investissements en technologies de l'information dans le secteur de l'éducation croîtra au rythme de 10,1% par an jusqu'à 2005(1).

Par ailleurs, la politique engagée par la Tunisie vise à encourager l'innovation dans la pédagogie et a formation notamment en tirant avantage des nouvelles formes d'enseignement offertes par les nouvelles technologies de l'information.

Les technologies de l'information au service des masses

Les nouvelles formes d'enseignement ne sont devenues pensables que grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, un des fers de lance de la bataille de notre pays. Ces technologies ont le double avantage de s'accommoder des grands nombres et de la diffusion de la connaissance à des masses afin de faire bénéficier tous les étudiants, où qu'ils se trouvent, des meilleurs cours et de les inciter à développer leur capacité à l'auto-formation. Ces technologies ont aussi le mérite de contribuer à réduire les bibliothèques surchargées, les salles de cours et les besoins en enseignants.

C'est dans cet esprit que des cours se sont multipliés dans les universités tunisiennes qui, outre leur vocation pédagogique, visent à diffuser une culture numérique en mettant les technologies de l'information au service de la diffusion du savoir aux masses.

Un de ces cours, Nouvelles Technologies de l'Information (NTI), a été offert pour la première fois à l'Institut Supérieur de Gestion (ISG) de Tunis durant le deuxième semestre de l'année universitaire 2000-2001. Étant réservé aux étudiants gestionnaires non informaticiens en quatrième année, ce cours était un des derniers auxquels ces étudiants étaient exposés avant de rejoindre le marché de l'emploi ou poursuivre leurs études de troisième cycle suite à l'obtention de la maîtrise.

Le cours des Nouvelles Technologies de l'Information de l'ISG

Étant offert dans le cursus d'un institut de gestion des entreprises, le cours visait à introduire les applications des technologies de l'information, de la communication et de l'Internet dans le cadre des entreprises. Divers autres concepts connexes, dont l'entreprise intégrée et l'entreprise étendue, y étaient présentés.

Dès son annonce, le cours a eu un succès dépassant toutes les prévisions, et particulièrement celles des contingentements. Au lieu de 50 ou même 100 prévus, plus de 230 étudiants appartenant aux filières de la Finance, du Marketing, de l'Entrepreneuriat et du Management s'y étaient inscrits. Cinq groupes de 50 étudiants en moyenne étaient subséquemment formés dont trois ont fait l'objet de la formule d'enseignement que nous décrivons. Hormis son caractère optionnel, le cours avait un format différent puisqu'il y était pratiqué ce qui y était prêché: l'usage des technologies de l'information et en particulier du courrier électronique, comme fin et comme moyen.

Les trois groupes concernés étaient formés d'étudiants en Management, en Entrepreneuriat et en Marketing.

Au départ, les étudiants étaient très intéressés par le thème des nouvelles technologies. Ils étaient, pour la plupart, convaincus de leur utilité et de leur caractère pragmatique. Une enquête préliminaire menée auprès de ces étudiants avait confirmé cette impression. La très vaste majorité s'étaient inscrits avec la conviction qu'ils y apprendraient quelque chose d'immédiatement utile surtout que la plupart étaient sur le point d'obtenir leur maîtrise et se préparaient donc à trouver un emploi.

Cette enquête avait par ailleurs révélé que quelques mois avant la commercialisation de l'ordinateur familial, 40% des étudiants inscrits avaient un PC chez eux, 16% étaient abonnés à l'Internet, 75% avaient déjà utilisé l'Internet et 69% disposaient déjà d'une adresse électronique.

Selon ces résultats, 75% des étudiants avaient déjà utilisé l'Internet et 40% avaient un PC chez eux et ce, quelques mois seulement avant la commercialisation de l'ordinateur familial. Fait notable: alors que 69% avaient déjà une adresse électronique, seulement 16% étaient abonnés à l'Internet. A priori, le fait qu'en quatrième année, 25% des étudiants n'avaient jamais utilisé l'Internet est surprenant vu que la totalité étaient à mi-chemin dans la rédaction de leur mémoire de fin d'études et que l'Internet était devenu une source inestimable d'informations pour les étudiants du deuxième cycle.

D'autres résultats étaient révélateurs. D'entrée de jeu et avant même le démarrage du cours, les étudiants des trois filières présentaient certaines différences. Alors que la proportion des étudiants en Marketing était de 33%, ces derniers présentaient le plus grand taux de pénétration du PC à domicile (43%). Ce sont également les étudiants en Marketing qui comptaient la plus grande proportion d'abonnés à l'Internet (54%) et d'adresses électroniques (40%). Par contre, les étudiants en Entrepreneuriat l'emportaient légèrement en ce qui concerne l'utilisation de l'Internet (39%).


Rythme d'adoption du courrier électronique

Dès le début du cours, les étudiants avaient été informés que le cours reposait entièrement sur les technologies de l'information et particulièrement sur le courrier électronique. Posséder une adresse électronique était en fait considéré comme un pré-requis obligatoire dont l'importance avait été soulignée plusieurs fois tout au long du semestre. Comme ils en avaient été instruits, les étudiants avaient commencé à informer le professeur de leur adresse électronique et ce, électroniquement. L'envoi des adresses électroniques (que nous appellerons "inscriptions" dans le reste de cet article) a duré tout au long du semestre. Pour être inscrits, les étudiants devaient tout simplement communiquer au professeur leur adresse électronique afin qu'il l'inscrive dans sa liste.

Pour les besoins de ce cours, les étudiants avaient au moins trois moyens d'accès à l'Internet: (1) à partir de chez eux (61% des étudiants), (2) à partir du centre de calcul de l'ISG et (3) à partir des publinets dont le nombre était satisfaisant.

Bien qu'il ait été possible pour les étudiants de s'inscrire 24h sur 24h et sept jours sur sept, le démarrage des inscriptions a été lent. C'est pourquoi le professeur réservait régulièrement quinze minutes au début de chaque cours pour expliquer ce qu'il fallait faire et comment. Certains étudiants avaient la phobie des ordinateurs et des claviers et s'étaient sentis pour la première fois obligés de les utiliser car aucune alternative n'était offerte; le cours était optionnel mais pas ses pré-requis.

Comme le graphique le montre, le semestre ayant commencé le 2 février, le flux des inscriptions n'avait réellement démarré que le 17 février et ce, malgré l'annonce de la nécessité d'avoir une adresse électronique. Le rythme des inscriptions s'était accéléré vers la fin du mois de février lorsque 16 inscriptions ont été reçues le même jour et ce, suite à une autre annonce, insistant cette fois sur le fait que l'adresse électronique était indispensable pour la réussite dans ce cours car l'examen final allait être administré sur l'Internet. Les étudiants avaient également été informés que le support de cours allait être diffusé électroniquement.

Fait curieux, l'enquête du début du cours avait révélé que 105 des 153 étudiants initialement inscrits avaient déjà une adresse électronique. Ce n'est pourtant que le 29 mars, soit près de deux mois après le début du cours, que 105 adresses avaient été inscrites dans la liste du professeur.

Le support de cours

Le support de cours de quarante cinq pages a été rédigé spécialement pour ce cours. Il n'était rendu disponible aux étudiants que sous forme électronique. Divisé en trois parties, il a fait l'objet de trois envois: le 1er mars, le 23 mars et le 1er mai. Il n'avait jamais été imprimé, photocopié ou distribué aux étudiants.

La première partie n'avait pas atteint tous les étudiants puisqu'au premier envoi, seulement 53% étaient inscrits. Lors du deuxième envoi, 69% des étudiants étaient inscrits et lors du dernier envoi, à une semaine de la fin des cours, 84% étaient inscrits.

En fait, ce ne fut que l'échéance du test Internet qui décida les retardataires à communiquer leur adresse électronique au professeur ce qui eut éventuellement lieu vers la fin du semestre, juste avant l'examen oral.

Le support de cours était en format PDF (Portable Document Format) lisible uniquement grâce au logiciel spécifique Acrobat Reader disponible gratuitement sur l'Internet. La nécessité de disposer de ce logiciel pour pouvoir prendre connaissance du support de cours incita les étudiants à se le procurer. Pour beaucoup, ce fut la première expérience de téléchargement de fichier et cela faisait partie du cours.

Les tests et l'examen

Deux tests classiques (écrits, en classe) avaient été administrés les 6 et 27 avril. Le test Internet s'était déroulé du 13 au 21 mai et l'examen oral qui le complétait avait eu lieu le 21 mai. Le test Internet était également diffusé par Internet avec un exercice différent pour chaque étudiant en fonction d'un numéro identificateur. Le test consistait à chercher et à trouver la page ou le site Web d'une entreprise tunisienne parmi les 149 qui avaient été préalablement identifiées. L'objectif réel pour l'étudiant n'était pas de trouver l'adresse du site mais de dire comment il l'avait trouvé (en utilisant un moteur de recherche par exemple et en précisant les mots clés utilisés, etc.).

Le test Internet comportait également des questions simples. Le test pouvait être complété en quelques minutes ou en quelques heures dépendant de l'assiduité de l'étudiant, le support de cours étant insuffisant pour réussir le test Internet.

Tel que conçu et administré, le test Internet présentait quelques risques de fraude. Il était donc complété par un test oral de quelques minutes durant lequel l'étudiant devait expliquer les résultats qu'il avait obtenus.

L'absentéisme

Le fait que le cours était optionnel, que le support de cours était diffusé par voie de courrier électronique et que l'examen allait se dérouler sur l'Internet, étaient sans doute à l'origine du taux d'absence relativement élevé enregistré dans ce cours. Cela est d'ailleurs un des inconvénients connus de ce mode d'apprentissage et peut-être un avantage lorsqu'on se place dans une logique non présentielle. En conséquence, beaucoup d'étudiants avaient été incapables de répondre à certaines questions posées que ce soit dans le test écrit, le test Internet ou le test oral parce que le support de cours était insuffisant et parce que la matière enseignée était à ce point changeante qu'il était impossible d'avoir des notes de cours constamment actualisées.

L'assiduité dans ce cours, tel qu'il avait été conçu, était donc importante, mais nullement décisive car rares étaient les étudiants qui avaient essuyé un échec dans le cours pour cette raison.

Les échanges électroniques

A la fin du cours, un total de 818 messages électroniques avaient été échangés dans les deux sens (entre le professeur et les étudiants), soit une moyenne de 8,9 messages par jour et de 5,4 par étudiant.

Le nombre de messages envoyés par les étudiants était de 428, soit une moyenne de 4,7 par jour et de 2,9 par étudiant. Le nombre maximum de messages envoyés au professeur par étudiant était de 23, le nombre minimum étant de un. Exception faite des inscriptions, ces messages étaient surtout des questions sur le cours et parfois sur l'examen. Vers la fin du semestre et après la fin des cours, les messages étaient essentiellement des demandes de conseil sur les perspectives d'emploi une fois les outils acquis dans le cadre de ce cours maîtrisés. Ayant atteint une certaine cadence, les messages continuaient même après la fin des cours et du semestre.

Le nombre total de messages envoyés par le professeur était de 390, soit une moyenne de 4,2 par jour et de 2,6 par étudiant. Ces messages étaient les parties du support de cours, des clarifications, ou des réponses aux questions qui étaient toujours renvoyées dans les 24 heures.

Ainsi si les étudiants et le professeur ne se voyaient physiquement qu'une ou deux fois par semaine, le contact était devenu permanent et continu grâce au courrier électronique.

Conclusion

Au début du semestre, 25% de la population des étudiants ayant suivi le cours à option Nouvelles Technologies de l'Information de l'ISG n'avaient jamais utilisé l'Internet et 31% ne disposaient pas d'une adresse électronique. A la fin du cours, tous les étudiants avaient fini par utiliser l'Internet, que ce soit pour consulter leur messagerie, télécharger des fichiers ou chercher des sites d'entreprise à l'aide de moteurs de recherche.

L'expérience d'adoption de la messagerie électronique par les étudiants s'était faite progressivement et s'était étalée tout au long du semestre. Le rythme d'adoption était très lent mais l'objectif avait été atteint: faire utiliser l'Internet à 100% des étudiants inscrits.

A la fin du cours, plusieurs étudiants ont exprimé leur satisfaction d'avoir opté pour ce cours et d'y avoir appris, d'une manière structurée, les avantages qu'ils pouvaient tirer de l'Internet.

Le cours ayant coïncidé avec la commercialisation de l'ordinateur familial (avril 2001), plusieurs étudiants se sont acquis un PC pour mieux profiter des concepts appris dans le cours. D'autres ont pu continuer à pratiquer les techniques apprises grâce à la vingtaine de publinets ouverts dans les trois gouvernorats du Grand Tunis.

Ayant déjà gagné le pari de l'alphabétisation, la Tunisie se doit aujourd'hui de gagner celui de la digitalisation et de l'acculturation, condition sine qua non de son entrée dans l'ère de l'information et de son appartenance à la société du savoir. Enclencher la digitalisation à l'université, au secondaire et au primaire est essentiel afin que ce processus soit mené à bon terme. L'expérience vécue par les étudiants de maîtrise à l'ISG et à ce titre encourageante et l'acculturation sera de plus en plus aisée à mesure que les générations passent.

Dans les versions futures, les étudiants ne devront plus être limités au courrier électronique pour avoir accès au support de cours, un site Web consacré à cette fin sera plus approprié. Le courrier électronique ne servira plus qu'aux contacts ponctuels entre professeurs et étudiants. Une version CD-ROM pourrait également être envisagée quoique peu effective dans le contexte de ce cours où le contenu change si rapidement.

1. Selon International Data Corp (IDC), 19 juillet 2001.