La valeur réelle de l'information dans la 

nouvelle économie et l'ère de l'immatériel

La version originale de cet article a paru dans la revue L'Economiste Maghrébin

No. 258, avril 2000, pages 58-59


Par Mohamed Louadi, PhD

Dans un âge où les technologies de l'information et les systèmes d'information sont devenus des outils managériaux indispensables, la gestion des entreprises n'est pas moins complexe qu'elle ne l'était auparavant. Il y aurait lieu de croire qu'elle l'est davantage en raison du problème fondamental qu'est la gestion de l'information dans une nouvelle économie aux paramètres inédits.

Aujourd'hui, beaucoup d'entreprises investissent des sommes mirobolantes dans l'acquisition de logiciels et de matériel informatique. Ces investissements sont parfois faits dans l'espoir qu'ils résulteront en une meilleure circulation et un plus grand partage de l'information. Cette logique, si elle existe, sous-estime le fait que le partage de l'information est un acte contre-nature et ce, indépendamment du pays et de la culture.

Ayant compris que «plus de technologie» ne veut pas nécessairement dire «plus d'information», quelques entreprises tunisiennes vont jusqu'à évaluer leurs cadres et employés sur la base de leur propension à partager l'information et ce, à l'instar de General Electric, une des multi-nationales américaines les plus rentables du monde et où la rétention de l'information est en porte-à-faux avec sa culture.

Cette tendance augure peut-être de nouveaux réflexes qui, suite aux investissements effrénés dans la technologie, recentrera l'attention managériale sur l'information et le partage de l'information utile plutôt que sur les investissements en matériel informatique uniquement.

Car il est désormais établi que si l'informatique est capable de générer de l'information en quantités appréciables, seules les entreprises sont à même de faire la part des choses entre ce qui est utile et ce qui ne l'est pas. Mais faces à l'avalanche d'informations que ces dernières subissent naturellement dans des environnements économiques de plus en plus complexes et dynamiques, la capacité de faire la part des choses devient une denrée rare et, de ce fait, constitue le problème central de la gestion de l'information dans l'entreprise de demain. Ceci, combiné avec les capacités de traitement de l'information limitées des humains et de la difficulté de comprendre a priori la valeur de l'information, devient immanquablement un problème fondamental.

Le traitement de l'information ne peut être réalisé valablement que si une quelconque valeur est reconnue à l'information et si l'information a réellement une valeur intrinsèque. Or les tenants de la valeur de l'information sont en train de changer à l'occasion du passage de l'ancienne économie à la nouvelle économie. L'ironie est que la nouvelle économie a justement été rendue possible principalement par les percées technologiques réalisées dans les domaines de la technologie et de l'informatique.

Dans l'ancienne économie, l'information n'a de valeur que si elle débouche, directement ou indirectement, sur quelque chose de concret ou sur l'appropriation de quelque chose de concret. Ainsi, dans les entreprises de l'ancienne économie et, à plus grande échelle, dans les économies dites émergentes, l'information n'a pas encore la valeur qu'on lui concède dans les pays de la société de l'information parce qu'il y n'y a pas autant de biens tangibles en circulation qui sont à acquérir ou à écouler.

En fait, dans les pays informationnellement avancés, la valeur de l'information ne découle pas uniquement de la quantité de biens tangibles en circulation, mais bien davantage des activités liées à l'immatériel et aux services. Ces dernières constituent la déterminante majeure de la valeur accordée à l'information dans une économie de savoir et d'information. Dans l'ère des services, de l'intangible et de l'immatériel, le postulat liant la valeur de l'information à celle du bien matériel acquis ou à acquérir atteint très rapidement ses limites. Il est de nos jours parfaitement concevable que l'information puisse avoir de la valeur même si elle n'aboutit pas à l'acquisition ou à la cession d'un bien tangible.

Dans la nouvelle économie, l'immatériel est en train de prendre le pas sur le «matériel». La nouvelle économie, représentant des industries en croissance employant un fort pourcentage de travailleurs hautement instruits ne se mesure plus en termes de production et d'échange de biens mais en termes de production et d'échange de savoir. Les entreprises de la nouvelle économie jouissent d'un ratio de capacité intellectuelle (knowledge ratio) relativement élevé.

Selon Nuala Beck, une économiste torontoise spécialisée dans les questions relatives à l'identification des entreprises et des activités de la nouvelle économie, les nouveaux indicateurs phares ne sont plus liés à l'industrie automobile, aux ventes au détail, à la construction résidentielle et à la fabrication de machines-outils mais à l'industrie de l'informatique et des semi-conducteurs, à l'industrie des soins de santé, aux communications, aux télécommunications et à l'instrumentation.

Par conséquent, la nouvelle économie ne s'intéresse plus au nombre de nouvelles résidences construites, mais au nombre de dispensaires de santé ou d'hôpitaux en chantiers. Elle s'intéresse davantage au nombre d'ordinateurs construits ou assemblés, à la production pharmaceutique, au nombre de travailleurs instruits ayant trouvé un emploi, au nombre de ménages disposant d'un micro-ordinateur et connectés à l'Internet, etc.

La part des revenus provenant de la nouvelle économie de l'entreprise post-moderne dépasse de moitié celle des revenus provenant de l'ancienne économie. Cette entreprise jouit par ailleurs d'un ratio de capacité intellectuelle (pourcentage de travailleurs instruits) et d'un ratio d'encadrement appréciables. Chaque année, elle met au point ou achète de nouveaux brevets et réalise un fort pourcentage de ses ventes à l'extérieur du pays et ce, grâce aux nouvelles techniques de marketing et de vente réalisées sur l'Internet, voire grâce au commerce électronique.

Les entreprises de demain ont compris que les investissements devront être axés moins sur le coté quincaillerie des technologies de l'information et des systèmes d'information. Ces entreprises sont moins portées sur les transactions routinières reliées au concret et au tangible que sur le traitement intelligent et le partage quasi-doctrinal de l'information et du savoir.