Le poids de la femme dans le développement économique des pays arabes

La version originale de cet article a paru dans la revue Le Manager, le Mensuel de l'Entreprise,  

No. 97, août 2004, pages 42-44

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Par Mohamed Louadi, PhD

 

L'un des plus grands changements auxquels auront à faire face certains pays développés dans deux ou trois décennies est le vieillissement de leur population. En effet, dans les 25 ans à venir, la transformation de la structure des âges au niveau mondial révèle des tendances vieillissantes. Ainsi déjà, entre 1998 et 2025, la population âgée de plus de 65 ans doublera alors que la population âgée de 15 ans et moins n'augmentera que de 6% [1].

Ceci aura pour conséquence d'inciter ces pays à ouvrir leurs frontières à l'immigration afin d'équilibrer leur pyramide des âges et de renflouer les caisses de l'État par l'entremise de contribuables talentueux et fraîchement débarqués pour éviter le poids social qu'engendreront les populations vieillissantes à la retraite. La compétition entre les pays développés pour les talents issus des pays en développement, y compris ceux des pays arabes, s'annoncera féroce. Et la tendance de la fuite des cerveaux continuera jusqu'à ce que les pays en développement se dotent de mécanismes capables de ramener leurs enfants à la patrie, un peu comme cela s'est fait et continuera d'être fait en Inde et en Corée du Sud.

Mais sinon?

 

La population totale du monde arabe était estimée à 130 millions en 1980 et à 300 millions en 2002. Cette population atteindra 395 millions aux alentours de 2015, soit 5,5% de la population mondiale. D'autres rapports tablent sur une population variant entre 410 et 459 millions d'ici l'an 2020, avec une pyramide de âges légèrement plus vieille qu'aujourd'hui [2]. 

Le monde arabe jouit de la proportion de jeunes âgés de 14 ans et moins la plus importante au monde [3]. Durant les deux décennies écoulées, la population du monde arabe a cru de 2,6% par an en moyenne comparativement au reste du monde qui a cru au rythme de 1,5. Il sera de 2,1 en 2015 et de 1,9% en 025 [4].  

L'évolution prévue des populations d'Afrique du Nord et du Moyen­-Orient entre 1990 et 2030 en comparaison de celle d'Iran et d'Israël. Données: Cordesman, A.H. (1998). Demographics and the Coming Youth Explosion in the Gulf, Center for Strategic and International Studies (CSIS), 1800 K Street N.W. Washington, DC 20006, janvier.

Compte tenu de l'hétérogénéité démographique de cette partie du monde, les populations nationales varient grandement. Ainsi si, en 2002, l'Égypte comptait 70,5 millions d'âmes (23,5% du total arabe, le Soudan comptait 32,9 millions suivi de l'Algérie avec 31,3 millions et le Maroc avec 30,1 millions. Ces pays, avec l'Arabie Saoudite, l'Iraq, le Yémen et la Syrie, sont ceux où la croissance démographique est la plus élevée [5]. C'est dire que la situation n'est pas la même dans tous les pays arabes.

La population d'Afrique du Nord est passée de 140 millions en 1990 à 157 millions en 1995 et atteindra très probablement 211 millions en 2010. L'Algérie et l'Égypte sont des cas notables avec des populations qui atteindront 39 millions et 73 millions respectivement en 2010 [6]. La Libye, le Maroc et la Tunisie, où la fécondité moyenne est similaire à celle des pays européens, arboreront des populations de 8,7, 35 et 12 millions respectivement. De plus, les femmes maghrébines en général se marient bien plus tard que les femmes des pays du Golfe [7]. 

Mais en général, là où les pressions démographiques sont les plus fortes, les tendances impo­seront d'énormes contraintes de budget sur l'éducation, l'infrastructure, la santé, la consommation d'eau, l'emploi et même de stabilité sociale.

 

L'évolution des effectifs des jeunes âgés de 20 à 29 ans dans les 20 prochaines années. Dans le Maghreb, on ne pourra plus parler d'ex­plosion démographique concernant cette tranche d'âge à partir de 2010. Données: Courbage, Y. (1999). Nouveaux horizons démogra­phiques en Méditerranée, INED, Paris.

Selon le rapport du PNUD sur le développement humain du monde arabe (2002), la moitié des jeunes ayant participé à une enquête sur l'émigration, désirent émigrer. De fait, près de 100.000 arabes et musulmans émigrent vers l'Occident chaque année. Les populations vieillissantes en Italie, Allemagne, Grande-Bretagne, France, et surtout, aux États-Unis et au Japon, ont tendance à créer un besoin pour ces émigrés [8]. 

Au delà des slogans ou d'un quelconque discours démagogique, les développements démographiques dans certaines régions du monde nous interpellent sérieusement. Dans une décennie ou deux, nos jeunesses seront particulièrement prisées, plus encore qu'elles ne l'ont été depuis les années 1995. Or les segments de la jeunesse et des talents arabes les plus mobiles sont justement masculins. Les nations occidentales seront à la recherche de jeunes créateurs de richesses et tous les investissements arabes faits dans l'éducation et la formation des ingénieurs risquent de fondre comme neige au soleil. Bien plus, les populations vieillissantes seront une telle charge sociale pour leurs gouvernements, que l'assiette fiscale devra être élargie et le sera à grands coups d'émigration et de naturalisations. Déjà, l'Allemagne naturalise pas moins de 300.000 étrangers par an [9]. 

Le taux d'activité signifie la participation de la femme à la vie active. Même en 2025, aucun pays arabe, même les plus progressistes, n'aura atteint un taux d'activité de 50%. Données: Nations Unies et Courbage, Y. (1998). La Pression Démographique, Passé, Présent et Futur au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Institut National d'Études Démographiques, Paris, présenté au Forum sur le Développement Humain au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA), Marrakech, 3-6 septembre.

Si l'histoire est d'une quelconque inspiration, c'est essentiellement durant les deux guerres mondiales, et surtout durant la première, que l'émancipation de la femme a été amorcée dans l'Occident et qui s'était poursuivie aux États-Unis avec le mouvement féministe des années 1970 [10]. Les hommes partant au front et beaucoup ne revenant pas, la machine économique se devait de continuer à fonctionner et ce furent les femmes qui s'en chargèrent. Depuis les débuts documentés de l'humanité, Ia femme étant essentielle pour la procréation et la continuité des races, était "protégée" et on ne lui permit pas d'aller à la chasse ou à la guerre (hormis pour certaines sociétés matriarcales telles celle des Amazones ou des Touarègues). Selon certains, ce fut ainsi que l'homme devint un guerrier et un chasseur, autrement la femme aurait pu le devenir tout aussi bien.

A juger par le rythme d'émigration de la jeunesse arabe et par le besoin des pays occidentaux, il ne restera aux pays arabes que les populations qui sont relativement moins mobiles, les femmes. Si les meilleures compétences masculines se laissent séduire par l'appel des sirènes, il nous faudra nous rendre à l'évidence que l'arrière garde ne pourra être que nos femmes. Et pas seulement en matière de technologies de l'information et de la communication.

 

Certes, on a assisté ces dernières années à d'importantes améliorations d'ordre quantitatif dans l'émancipation et la participation à la vie active des femmes arabes. La région arabe a en effet été le théâtre des progrès les plus rapides en termes d'éducation de la population féminine; le taux d'alphabétisation des femmes y ayant été multiplié par trois entre 1970 et 2000.

 

On dit qu'une femme arabe sur deux ne sait ni lire ni écrire, beaucoup ne savent le faire que dans une seule langue. L'ensemble du monde arabe souffrira lorsque la moitié de son potentiel est gelé.  

 

 

[10] Un bail si l'on considère qu'un livre, intitulé Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, a été écrit et publié en 1791 par Olympe de Gouges revendiquant, au nom des femmes, des droits semblables à ceux inscrits dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.