Productivité et investissements 2004

La version originale de cet article a paru dans la revue L'Economiste Maghrébin

No. 356-357, janvier 2004, page130


Par Mohamed Louadi, PhD

L’année 2003 n’aura pas été close que deux rapports importants avaient déjà été publiés. L’un comme l’autre nous intéressent et l’un comme l’autre donnent matière à réflexion, pour l’avenir, ayant déjà commencé avec 2004.

Le premier, intitulé Missing Millions, publié par Proudfoot Consulting, est une étude internationale sur la productivité des entreprises qui fait état de l’improductivité et de ses sources dans des pays dont certains nous servent de modèle.

Le deuxième est la deuxième mouture du rapport du PNUD sur le monde arabe et nous incite à jeter un regard critique et réaliste sur nous-mêmes.

La productivité des pays productifs à la loupe

Le rapport de Proudfoot évalue la productivité des ressources humaines dans sept pays considérés «productifs» (Afrique du Sud, Allemagne, Australie, Espagne, États-Unis, France et Royaume-Unis) et conclut que les entreprises dans ces pays gaspillent 87 jours de travail en moyenne par an et par employé. Ces entreprises ne fonctionnent qu’à 61% de leur capacité alors que la productivité optimum est de 85%. Aux États-Unis, par exemple, les pertes en productivité sont évaluées à près de 1068 milliards de dollars, soit 10,3% du PIB. Notons cependant que l’improductivité de ces entreprises est en régression si l’on tient compte des résultats obtenus par Proudfoot pour 2001 et 2002. Pour 2003, comme pour les deux années précédentes, le rapport énumère les sources identifiées de cette improductivité qui sont au nombre de 6 (voir tableau).

L’étude donne un exemple précis de perte de productivité. L’activité commerciale de certains secteurs y est divisée en six catégories: la vente active, la prospection, la résolution des problèmes, l’administration, les déplacements et le temps improductif. Ainsi, ressort il que les commerciaux passent très peu de temps dans la vente active aux clients par comparaison au temps qu'ils consacrent à l'administration et à la résolution des problèmes. Le rapport estime que seulement 10% du temps d'un vendeur est effectivement consacré à la vente active, alors que leurs supérieurs hiérarchiques estiment ce à 20% au moins.

Les pays arabes de moins en moins productifs

Le rapport du PNUD de 2003 confirme et signe les constats apportés dans l’édition 2002. Quand ils concernent la productivité des pays arabes, ces constats choquent puisqu’on y apprend que la productivité de la main d’œuvre industrielle des pays arabes était en 1990 proche de celle des pays européens et japonais de 1970 (édition 2002, page 88) et qu’elle représentait 32% de celle de l’Amérique du Nord en 1960. En 2002, elle était estimée avoir chuté à 19%.

Le rapport du PNUD a bien sûr été controversé et a créé moult polémiques dans le monde arabe, mais ses révélations quantifiées, mises côte à côte avec celles du rapport de Proudfoot, nous laissent nous interroger sur la productivité et le gaspillage de productivité chez nous. Une remarque explicitement faite dans le rapport de Proudfoot peut tout aussi bien s’appliquer à notre pays: «La majorité des chefs d'entreprise continue de croire, à tort, que l'investissement est la seule façon d'améliorer la productivité de la main d'œuvre» (page 5).

Le problème de la productivité est complexe et, espérons-le, ses solutions sont multiples. 

L’afflux des investissements privés et autres IDE par exemple ne peut être qu’une partie de la solution qui ne doit consommer qu’une partie de nos énergies, le reste devant être entièrement consacré à notre productivité et à la recherche de moyens pour l’améliorer.

Le fait que l’insuffisance de la planification et des contrôles et l’inadaptation de la supervision soient ressorties comme des sources d’improductivité dans le rapport de Proudfoot devrait également nous inciter à définir les mesures de productivité nécessaires, quitte à aller jusqu'à engager une réflexion sur le calcul du retour sur le management (calqué sur le retour sur investissement pour la rentabilité financière) de nos cadres qui, peu ou mal supervisés peuvent relayer leurs carences managériales aux niveaux subalternes.

Le classement des entreprises tunisiennes en fonction de la productivité de leurs ressources humaines, plutôt que de leur chiffre d’affaires, devrait à ce titre être infiniment plus informatif pour certains.

Espérons, en cette année 2004, que nos entreprises se pencheront sur la question de savoir ce qui est le plus prioritaire, faire ce qu’on peut, ou faire ce que l’on doit et à mieux définir nos priorités et ce que l’on doit faire en fonction de ce que l’on peut faire le mieux.