Quel est l'apport communicationnel des technologies de l'information?

La version originale de cet article a paru dans la revue Le Manager

No. 79, février 2003, pages 23-24


Par Mohamed Louadi, PhD

 

Toute information n'est pas bonne à communiquer et il est parfois souhaitable qu’il n’y ait pas communication du tout. L'idéal, en fait, est de limiter la diffusion de l'information là où elle risque de devenir contre-productive et de limiter les communications où il n'y a pas d’échange d'information car de telles communications sont, presque par définition, sources de pertes, voire de dysfonctionnements.

 

La communication de l'information n'a de valeur que s'il existe quelque chose (information) de nouveau à communiquer, de sorte que celui qui reçoit la communication y trouve une valeur ajoutée par rapport à ce qu’il savait déjà ou par rapport à ce qui l’intéresse vraiment. Ce quelque chose prend généralement naissance dans les cerveaux ou mémoires humains ou dans les bases de données et les fichiers des entreprises.

 

D’aucuns pourraient avancer que l'information ne peut être véhiculée sans communication. Il existe pourtant des situations où il peut y avoir communication sans réel échange d'information. Il peut également y avoir des situations où il y a échange d'information sans communication aucune. Naturellement, l'on exclut ici toute communication métaphysique, télépathique ou subliminale. L’on exclut dans la même foulée le langage facial et corporel.

 

Commençons par le cas où il y a communication sans échange d’information. Par exemple, lorsque deux personnes se rencontrent, une conversation est amorcée où les questions foisonnent qui s'intéressent surtout à la santé de l'autre sans vraiment s'y intéresser. En Tunisie, le sempiternel «ça va?» a une signification toute particulière: aucune. Sinon vaguement sociale. Car souvent, en posant cette question, l'on n'a pas vraiment envie de connaître l'état de santé ou l'état d'âme de son vis-à-vis et ce dernier répondra par le fameux «ça va» sans vraiment vouloir dire par là que tout baigne dans l'huile. A Tunis et dans les autres grandes villes, il n’est pas rare que la question soit successivement posée dans les deux langues créant deux questions et deux réponses (la communication) sans qu'il n'y ait aucun échange fructueux d'information. Ce genre de communication a peut-être une importance sociale appréciable mais est contre-productif dans un contexte organisationnel où de telles questions sont posées plusieurs fois par jour et au téléphone par exemple.

 

Il y a également des situations où il y a échange d’information sans communication. Le livreur de pizza qui utilise un système reconnaissant le client à partir de son numéro d’appel, sait que si le client sonne une fois et raccroche, c’est qu’il désire une pizza identique à la dernière fois. Les employés arrivant à l’usine le matin savent si le patron est déjà là si sa voiture est dans le parking. Les élèves qui arrivent à la station du bus sans voir les usagers habituels peuvent conclure que le bus est déjà passé. Dans toutes ces situations, il y a acquisition d’information sans qu’il n’y ait de communication.

 

Tel est l’état des choses. Il peut se compliquer avec l’apport des technologies de l’information risquant de laisser perplexes certains qui, croyant que le problème de la communication serait résolu grâce à elles, s’aperçoivent que c’est tout à fait le contraire qui se produit. Des centaines d’entreprises ont investi des millions de dollars dans les TI pour s’apercevoir enfin que les systèmes installés n’arrivaient même pas à communiquer entre eux. La redondance des données entre les départements, au lieu de diminuer les communications inter-départementales, est généralement la source d’inefficacités considérables.

 

Si les TI peuvent servir de véhicule de transfert d'informations émanant d'un cerveau humain ou d'une base de données vers un autre cerveau humain ou base de données, il serait illusoire de croire qu’elles servent à rendre l’information accessible à tous. En fait, les concepteurs et administrateurs de bases de données ainsi que les responsables de sécurité et d'accès aux ressources informatiques le savent bien, l'accès à l'information doit être réglementé de sorte que n'auront accès à l'information que ceux qui en ont normalement besoin. Autrement les noms d’utilisateurs et les mots de passe règnent. De plus, l’on sait, depuis Marshall McLuhan et son «The medium is the message», que la technologie n’est pas toujours neutre quant au sens donné par le destinataire au message reçu selon qu’une technologie (la radio ou la télévision) ou une autre (l’Internet) est utilisée.

 

 

Les technologies de l'information et de la communication servent autant à rendre fluide la circulation de l'information qui doit circuler qu'à la réglementer. Dans certains cas, les TI peuvent servir à limiter la communication de l'information inutile en augmentant le ratio de l'information utile transférée par rapport à l’information totale transmise. Le manège des «comment ça va/ça va» et des «comment vont les enfants?/ça va» serait déplacé lors d'un échange électronique par exemple, mais, ce qui peut avoir lieu dans une séance de «chat» dans un publinet, par exemple, peut être bien pire.

 

D’informatique qu’on l’appelait au cours des années 50-80, l’on est à présent passé à «technologies de l’information» et même à «technologies de l’information et de la communication» La suggestion dans les mots est explicite mais la réalité manque à l’appel. Bien après l’avènement de l’écriture (il y a de cela 5000 ans), celui de l’imprimerie (il y a de cela plus de 500 ans), celui de l’ordinateur (il y a déjà plus de 50 ans), et finalement l ‘explosion du Web (il y a presque 10 ans), il serait temps qu’on apprenne non pas à communiquer plus mais à communiquer mieux tant il est vrai qu’un grand nombre de problèmes trouvent leurs racines dans le manque (qualitatif) de communication.